Services linguistiques

La rédaction épicène : un défi ou un outil en traduction ?

EB566553-917E-4DC9-8C50-DAA705994047Created with sketchtool. 03 septembre 2021 Lecture de 4 minutes

Au cours des dernières décennies, la féminisation des titres en contexte professionnel a entraîné une remise en question de la visibilité des femmes dans les communications écrites. Un nombre grandissant d’organisations se dotent d’ailleurs de lignes directrices et de politiques à cet effet. Les entreprises québécoises n’y font pas exception et resserrent progressivement leurs exigences en matière de féminisation linguistique depuis quelques années. Ce concept de plus en plus répandu suscite toutefois certains questionnements, notamment dans le milieu de la traduction.

Féminisation lexicale ou rédaction épicène ?

La féminisation linguistique comprend deux notions distinctes : la féminisation lexicale et la rédaction épicène, c’est-à-dire inclusive. Le premier concept cible uniquement le vocabulaire, notamment l’utilisation et la création d’appellations féminines, tandis que la rédaction épicène s’applique à l’ensemble du texte.

L’une des méthodes préconisées en rédaction inclusive consiste à employer des formulations qui n’excluent aucun genre, notamment au moyen de noms collectifs ainsi que de pronoms, de noms ou d’adjectifs neutres.

Par exemple : au lieu de faire la promotion d’un forfait étudiant, les entreprises peuvent remplacer le terme genré (étudiant) par un équivalent plus générique, comme études. Cette formulation neutre reflète tout aussi bien le concept mis de l’avant, sans comporter de biais masculin. Il convient toutefois de s’assurer qu’aucune nuance n’est perdue en utilisant le terme dans un corps de texte plutôt que dans un titre.

Les pronoms, le style, les accords et d’autres éléments syntaxiques peuvent également être modifiés pour éviter de recourir au masculin générique ou aux doublets (p. ex. : un/une mécanicien-ne) qui alourdissent le texte. Pour y remédier, la formulation à la deuxième personne du pluriel permet de contourner les désignations de personnes. Par exemple : L’utilisateur doit se connecter au portail peut être remplacé par Vous devez vous connecter au portail. Puisqu’elle interpelle directement le lecteur, cette formulation s’avère particulièrement utile en contexte commercial ou publicitaire.

Un casse-tête pour la traduction ?

Parce que les services de traduction doivent refléter efficacement le message et le ton du contenu d’origine, la féminisation peut poser certaines difficultés. À titre d’exemple, l’anglais utilise un genre grammatical neutre tandis qu’en français, les noms communs et les adjectifs sont masculins ou féminins. Les spécialistes de la langue doivent donc tenir compte de ce premier facteur en reformulant les phrases pour éviter les accords genrés.

Si le client anglophone ne fournit pas de consignes précises quant à la féminisation ou s’il comprend mal le concept, le service de traduction peut s’orienter en fonction du contexte. À cette fin, l’Office de la langue française émet certaines recommandations, mais la féminisation linguistique relève bien souvent d’un choix éditorial.

Pour appuyer leur décision, les services de traduction doivent donc se demander si le texte source témoigne d’une volonté d’inclusion et comprendre l’intention du rédacteur anglophone. Il faut également déterminer le public cible et tenir compte du contexte de publication afin de communiquer clairement le message.

En fonction de ces considérations, il importe d’user de jugement lors du processus de traduction. Dans certains cas, il faudra préconiser une traduction épicène ou encore recourir à des doublets si aucune formulation ne permet de contourner efficacement le genre grammatical. Une autre solution consiste à alterner entre des tournures neutres et le masculin afin d’alléger le texte.

Le mot d’ordre

Il incombe aux spécialistes de rester à l’affût des changements et de suivre l’évolution de la langue, au même titre que pour les rectifications de l’orthographe. Comme pour l’interprétation du texte à traduire, la compréhension de l’intention en matière de rédaction inclusive fait désormais partie intégrante du processus de traduction, d’autant plus que le genre grammatical constitue souvent un concept abstrait pour la clientèle anglophone.